L'accent toulousain, marseillais, ch'ti... L'Hexagone est
constellé de voix chantantes. Des intonations qui tendent à disparaître du fait
d'un affadissement de la langue française, en un ton monocorde. Le linguiste
Mathieu Avanzi revient sur l'histoire de ces accentuations.
On ne parle au Nord comme on parle au Sud, à l'Est et à
l'Ouest. C'est un fait. Mais tant mieux! Les accents chantants des Toulousains
et les intonations gutturales des Alsaciens se dégustent comme du miel avec une
pointe de citron. Avec joyeuserie et délice. Mais pour combien de temps encore?
Glottophobie, discrimination par rapport à l'accent,
français monocorde... Les accents subissent de plein fouet un affadissement de
la langue française. Allant jusqu'à se transformer en obstacle dans certains
corps de métier. Le linguiste Mathieu Avanzi, auteur de l'Atlas du français de
nos régions (Armand Colin), explique les raisons de cet étiolement et donne ses
astuces pour passer entre les mailles du filet du bon usage français.
LE FIGARO. - D'où
viennent les accents?
Mathieu AVANZI. - Il y a plusieurs raisons. Avant les années
1950, le français était vu pour beaucoup, notamment les gens du Sud, les
Suisses romands, les Savoyards et les Bourguignons, une langue que l'on
apprenait uniquement à l'école. On parlait d'abord le patois avec ses parents.
Le français s'est agrégé sur un autre système. Si vous voulez un élément de
comparaison, c'est comme si vous aviez l'espagnol ou l'italien comme première
langue et que l'on vous ajoutait le français par-dessus. Cela créerait
forcément des interférences. Le français a donc pris des couleurs un peu
différentes selon les régions.
Est-il vrai que les accents
disparaissent en France?
Aujourd'hui, les accents disparaissent peu à peu, du fait
des médias. Mais ce n'est pas un phénomène nouveau. On assistait déjà à son
déclin, notamment avec la popularisation de la radio dans les années 1930. Elle
s'est accompagnée de la mort progressive des dialectes. Mais la radio n'est pas
la seule responsable dans ce processus. La Seconde Guerre mondiale a été
décisive. Quand les hommes ont été contraints de partir, ils ont dû trouver une
langue commune pour pouvoir se comprendre. C'est donc tout naturellement qu'ils
ont choisi le français.
«À Paris, il y a une
forte intolérance face à l'accent»
Les accents sont quelque peu restés mais l'éducation a aussi
joué son rôle dans leur déclin. À l'époque les écoles de maîtres étaient dans
les grandes villes. Les instituteurs se sont donc mis à enseigner un français
standard, c'est-à-dire, celui de la ville où l'on parlait déjà avec moins
d'accent.
Le français que nous
parlons est donc un français de Paris?
Le français que nous parlons est en effet un français de
Paris et de l'Ile-de-France, en général. Il s'agit également du français de
l'Académie. C'est là où il y a toutes les grandes institutions, écoles et
grands médias que l'on a pris comme modèle le bon français.
Le fait de parler
avec un accent peut-il être dommageable?
Il y a des gens qui sont fiers de leur accent et qui le
revendiquent. À l'inverse, beaucoup de personnes cachent leur accent de peur
d'être stigmatisé. À Paris, il y a une forte intolérance face à l'accent. En
avoir un, c'est montrer que l'on vient de province, ce qui est pour certains
connoté très négativement.
L'accent peut également être associé à un niveau d'éducation
inférieure, à une non-maîtrise du français. Certains de mes étudiants m'ont
rapporté l'anecdote suivante. «Quand on est dans nos familles, on dit “vinte“
(pour «vingt») et quand on est à Paris, on dit “vin“». Tout ce qui ne rentre
pas dans le moule, comme d'habitude, attire l'intolérance. L'accent renseigne à
la fois sur l'origine géographique mais sociale d'un individu.
Les linguistes essayent de voir ces accents comme une
richesse, certains avec un côté plutôt revendicateur, pour éviter tout racisme
linguistique, mais ce n'est pas une mentalité que tout le monde partage.
«La glottophobie,
discrimination par rapport à l'accent, est un fait établi»
Existe-t-il un
racisme linguistique?
La glottophobie, discrimination par rapport à l'accent, est
un fait établi. Certains accents, en français ou dans d'autres langues, vont
empêcher l'accès à certaines professions. C'est le cas notamment pour le métier
de journaliste. En Suisse romande, des journalistes venus du Jura font des «r»
très prononcés. Pour continuer leur métier, il leur a été demandé de ne plus
les prononcer. Depuis, ils doivent lisser leur prononciation. Pour ceux-là,
quand ils prennent la parole, il y a un vrai mouvement d'intolérance.
Quels conseils donneriez-vous
à des étudiants, futurs employés qui voudraient intégrer ces métiers «à
risque»?
Cela dépendra de la personne qui se trouve en face de vous.
Si vous faites face à quelqu'un qui a un accent très fort, il y aura une espèce
de connivence qui se créera. À l'inverse, si votre examinateur est très à
cheval sur les questions de prononciation et maîtrise les normes, il pourra
associer votre accent à un niveau intellectuel inférieur. Il sera donc préférable,
selon moi, de le cacher.
Si vous voulez le revendiquer, il faudra forcer le trait
sans tomber dans la caricature. Si vous souhaitez le cacher, il faudra faire
attention aux voyelles accentuées, notamment les «o» et les «è». Ce sera
difficile pour les gens du Sud par exemple. Il faudra donc lisser des mots
comme «rose», «jaune», «piquet», etc. Enfin, il faudra s'évertuer à avoir une
prononciation soignée et faire attention aux liaisons.
http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/06/13/37002-20180613ARTFIG00024-mathieu-avanzi-le-francais-que-nous-parlons-est-un-francais-de-paris.php
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