« Apprentis » contre « brillants » : l’enseignement professionnel toujours victime de préjugés
L’enseignement professionnel, dont l’apprentissage, se veut être la solution miracle au chômage des jeunes. Pourtant ces formations peinent à se défaire de leurs images négatives.
LE MONDE | 05.09.2017 à 11h39 • Mis à jour le 05.09.2017 à 12h05 | Par Audrey Travère
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C’était une question pourtant anodine. Mercredi 30 août, au micro de France Inter, Léa Salamé interroge Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia, venu parler de l’apprentissage :
Léa Salamé : « Est-ce que vous avez poussé l’un de vos enfants à être apprenti ? »
Antoine Frérot : « Non je ne l’ai pas fait car ils étaient brillants à l’école. L’un voulait être médecin. Peut-être ma dernière le sera, mais en études supérieures. Le problème ne s’est pas posé. »
Quelques heures plus tard, l’homme d’affaires faisait ses excuses avec le compte Twitter de son entreprise face à la vive polémique déclenchée sur les réseaux sociaux. Mais cette réponse maladroite n’a rien d’étonnant : elle n’est que le reflet des préjugés tenaces dont l’enseignement professionnel en France n’arrive pas à se défaire. Et, par extension, d’une réalité où les orientations scolaires sont profondément segmentées socialement.
Une majorité d’enfants d’ouvriers et d’inactifs
Pourtant présentée comme une solution efficace par l’ensemble de la classe politique au chômage des jeunes à l’heure d’une démocratisation scolaire toujours plus importante, les filières professionnelles, dont l’apprentissage fait partie, peinent à convaincre. En 2016, les élèves ayant intégré ces formations étaient moitié moins que ceux des filières générales ou technologiques.
665 200 élèves suivaient une formation professionnelle à la rentrée 2016
Nombre d'élèves dans le second degré selon les formations suivies à la rentrée 2016
01000000200000030000004000…Nombre d'élèvesélèves en formationsgénérales et technologiquesélèves en formationsprofessionnellescollégiens
élèves en formations générales et technologiques
● Nombre d'élèves: 1 599 200
SOURCE : MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE
En étudiant la répartition sociale des effectifs du professionnel, une tendance très nette – et prévisible – se détache : les enfants de cadres et d’enseignants s’orientent naturellement vers des filières générales et technologiques, tandis que les élèves issus de milieux plus modestes se tourneront majoritairement vers l’enseignement professionnel.
En 2012, 60,3% des enfants d’ouvriers qualifiés s’orientaient vers l’enseignement professionnel
Orientation dans le secondaire d’élèves ayant fait leur entrée au collège en 2007, selon les catégories socioprofessionnelles des parents
0 %20 %40 %60 %80 %100 %Voie professionnelleVoie générale et technologiqueCollège et autresEnseignantsCadres et chefs d’entrepriseProfessions intermédiairesArtisans, commerçantsAgriculteursEmployésOuvriers qualifiésOuvriers non qualifiésInactifsEnsemble
SOURCE : DEPP-MEN
Pour le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), cette sélection trouve son origine dans deux prédispositions déterminantes : « La faiblesse des acquis en classe de sixième », et les « caractéristiques de la famille, au regard de la catégorie socioprofessionnelle et plus encore du (faible) capital scolaire des parents. »
Une image négative qui persiste
Toujours mal perçue, l’orientation en filière professionnelle peut être vécue comme subie par les élèves et les parents. Et, paradoxalement, ce sont les classes populaires qui vont chercher plus intensivement à éviter ces formations, malgré leur forte présence dans les effectifs in fine, souligne l’étude. Obtenir un diplôme général ou technologique menant aux études supérieures est considéré comme un signe de réussite. La décision d’envoyer l’élève en filière professionnelle est alors d’autant plus mal vécue que l’envie de progresser socialement est forte. Néanmoins, beaucoup d’autres acceptent cette orientation sans problème, puisqu’elle incarne une option rapide d’accès au marché de l’emploi, tout en restant familière.
Seul 1,7 % des enfants de cadres subissent une orientation en professionnel, contre 6,6 % pour les enfants d’inactifs
Part d’élèves ayant subi une orientation en voie professionnelle choisie par le conseil de classe contre leur volonté, selon la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence en 2012
01234567Orientation subie en profesionnelAgriculteursEnseignantsCadresChefs d’entrepriseProfessions intermédiairesArtisans, commerçantsEmployésOuvriers qualifiésOuvriers non qualifiésInactifs
Autre idée reçue : les voies professionnelles sont des solutions de secours pour les mauvais élèves. Une partie de l’argumentaire promouvant ces formations va dans ce sens : un des objectifs serait d’offrir une alternative viable à ces quelque 122 000 élèves quittant le système éducatif sans diplôme chaque année. Résultat : quand un élève rencontre d’importantes difficultés en troisième, les parents souhaitent l’orienter vers l’enseignement professionnel dans 64 % des cas… contre seulement 3 % quand il est considéré « excellent élève ». Ou, selon les mots d’Antoine Frérot, « brillant ».
Plus l’élève est en difficulté au collège, plus ses parents souhaitent l’orienter vers une voie professionnelle
Vœux d'orientation des parents en 6e et en 3e, selon les caractéristiques scolaires de l’élève en 2011
01020304050607080Voie générale ou technologique en 2008 et en 2011Voie générale ou technologique en 2008. second cycle prof. en 2011Voie générale ou technologique en 2008. indécision en 2011Indécision en 2008. voie générale ou technologique en 2011Voie professionnelle en 2008 et en 2011Voie professionnelle en 2008. Voie générale ou technologique en 2011Indécision en 2008. voie professionnelle en 2011Indécision en 2008 et en 2011Importantes difficultésFaibles difficultésBon élèveExcellent élève
Bon élève
● Voie générale ou technologique en 2008 et en 2011 : 52 %
● Indécision en 2008. voie générale ou technologique en 2011 : 27 %
● Voie professionnelle en 2008 et en 2011 : 4 %
● Indécision en 2008. voie professionnelle en 2011 : 6 %
SOURCE : MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE
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