«Avoir la patate», «prendre son pied»... Ce n'est un secret pour personne : la langue française foisonne de formules imagées. Mais que se passerait-il si l'on prenait ces locutions au pied de la lettre ? Le Figaro revient sur leur drôle d'histoire.
Étrange? C'est le mot! Tendez plutôt l'oreille. «Il m'a posé un lapin», «tu as le cœur sur la main», «elle lui a savonné la planche»... Pas une conversation ne passe au quotidien sans qu'une expression imagée ne vienne l'investir.
Si elles demeurent, pour la plupart, bien audibles, certaines d'entre elles n'en restent pas moins, prises au premier degré, capillotractées voire absurdes. Que comprendre en effet dans des expressions comme «avoir un chat dans la gorge», «casser du sucre sur le dos de quelqu'un» ou encore «avoir des fourmis dans les jambes»?
Le Figaro a mené l'enquête et vous propose, grâce à l'ouvrage de Georges Planelles Les 1001 expressions préférées des Français, de redécouvrir le sens caché de formules parfois millénaires...
● Mange ton assiette!
Et bois ton verre! Voilà qui peut laisser pantois. Comment diable serait-il possible de déguster sa vaisselle? Avec les dents en acier de Requin dans James Bond? Tant s'en faut! Ces métonymies sont à l'image des locutions culinaires qui truffent notre vocabulaire: à prendre au second degré. Ne faut-il pas voir ici une incitation à croquer littéralement son plat et dissoudre sa chope, mais une exhortation à terminer les contenus de leurs contenants.
En miroir de ces figures de style, on retrouve par exemple rangée sur les étagères de nos cuisines l'expression: «ne pas être dans son assiette». Une locution selon toute vraisemblance née au XVIe siècle. Le mot «assiette» étroitement lié au verbe «asseoir» se retrouvait sous la plume de Montaigne dans le sens de «position», «manière d'être assis» puis, de manière figurée: «état d'esprit». Depuis lors, «ne pas être dans son assiette» a signifié «ne pas être dans son état normal» ou de façon plus familière «être à côté de ses baskets».
Autrement plus absurde que la figure «bois ton verre», on retrouve la formule «boire un coup». Au XIVe siècle, précise Georges Planelles dans son livre, le mot «coup» désigne une quantité de liquide: une mesure que l'on ne boit qu'en une seule fois ou d'un seul trait. Par vases communicants, celle que l'on ne prenait que d'un seul «coup», a fini par donner l'expression que l'on connaît aujourd'hui.
Qu'en est-il de notre «cordon-bleu»? Viendrait-elle du goût savoureux de l'escalope panée? Loin de là. L'origine de la formule est en effet bien éloignée des fourneaux de nos chers cuisiniers. Elle serait née en réalité à la cour. Le «cordon-bleu» était originellement une décoration de prestige (liées à un ruban bleu) que remettait le roi à des personnes méritantes.
On notera aussi les formules «être chocolat» (avoir été dupé), «avoir la patate» (expression argotique née au début du XXe siècle) ou encore «casser du sucre sur le dos de quelqu'un», une locution encore controversée qui serait néanmoins née au XIXe siècle, à la fois du verbe «casser», en argot: «médire» et de la locution «paroles sucrées», synonyme de «flatteries».
● Crocodile, fourmis et chat dans la gorge
Avaler des couleuvres: voilà une expression qui joint le fond et la forme! Peu ragoûtante visuellement et encore moins sympathique pour celui qui doit la subir, la locution qui signifie à la fois «gober n'importe quoi» et «éprouver des difficultés sans pouvoir se plaindre» possède deux origines possibles. La première remonterait à un temps où il était commun, pour se venger de ses proches, de les inviter à manger chez soi et de leur servir, sans qu'ils ne s'en rendent compte, des couleuvres mêlées à des anguilles. La seconde, remonterait à son origine paronymique avec le mot «couleur». Un terme qui symbolisait, du XVe au XVIIe, la perfidie (et notamment celle du Diable, souvent représenté sous la forme d'un serpent).
Dans le même registre, on retrouve le chat dans la gorge. Celui-ci serait apparu du fait d'une confusion entre deux mots: le matou et le maton, l'autre nom de «lait caillé, grumeaux». Lorsqu'un individu était malade et qu'il avait des glaires au fond de la gorge, on assimilait sa voix enrouée au «maton» qui pouvait parfois boucher des conduits. C'est l'usage qui fera la suite en lui préférant le «matou» puis le «chat dans la gorge». Chat alors!
Si les animaux sont très utiles pour définir des stimuli organiques, les fourmis pour leur part ne sont pas en reste. On les retrouve ainsi dans l'expression «avoir des fourmis dans les jambes». Une locution née au début du XIXe siècle, pour imager les sensations de picotements qui parcourent l'un de nos membres. Une sensation qui serait similaire à celle que susciterait un bataillon de fourmis sur notre peau.
Parmi les innombrables expressions animales du dictionnaire, on relèvera également les «larmes de crocodile», vraisemblablement issues de l'Antiquité et plus précisément de l'Égypte. Selon la légende, les gros reptiles poussaient de grands gémissements, jusqu'à en cracher d'immenses larmes, afin d'attirer leurs gibiers. Cette parade traversera le temps pour désigner des individus hypocrites allant jusqu'à tirer des larmes pour mieux attirer la compassion.
● Prendre son pied jusqu'à en rester baba
Remettons-nous dans le contexte: sans internet. Pour obtenir les derniers potins et répandre des médisances, il était d'usage de se rendre au lavoir. Là-bas, les femmes y lavaient leur linge sale à l'aide de savon, tout en les battant au rythme de leurs conversations. L'image de ce «savon passé et repassé pour médire» passa dans la langue vernaculaire au XVIIe siècle, pour donner l'expression «laver la tête», à savoir «donner des coups». Par extension, celle-ci prit le sens de «gronder», «disputer» et finalement «passer un savon».
Qu'en est-il de l'éponge que l'on jette lorsqu'on «abandonne quelque chose»? Synonyme d'échec ou de capitulation, l'expression «jeter l'éponge» signifiait stricto sensu dans le noble art, le lancer de l'éponge du soigneur, qui, inapte à pouvoir ressaisir son boxeur amoché ou assommé (en lui rafraîchissant le visage) signalait ainsi à l'arbitre la fin du combat.
Pas question de combat ou de rixe concernant la locution «prendre son pied». Au XIXe siècle, le pied désigne, dans l'argot des voleurs, «une part» du butin. Dire «j'en ai mon pied» signifie ni plus ni moins: «j'ai ma ration». Par extension, le sens a dérivé pour aller jusque dans les draps de madame et de monsieur. Aujourd'hui l'expression s'emploie pour parler d'un plaisir intense.
La formule a de quoi laisser baba. Et pour cause! À l'origine le mot est issu du bas latin batare «ouvrir la bouche, ébahir». Il réfléchit à la fois l'idée de stupéfaction et d'étonnement. Rien à voir néanmoins avec l'expression «l'avoir dans le baba» qui se rapporte pour sa part à une partie du corps située sous la ceinture...
Alice Develey, Le Figaro
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