l’Euro, l’Europe et la paix
L’un des arguments les plus utilisés pour
critiquer tout ce qui touche de près ou de loin à une dissolution de l’Euro
(qu’il s’agisse du GREXIT ou d’autres hypothèses) est que ceci affaiblirait
considérablement l’Union Européenne, voire provoquerait sa dissolution. En
disant cela, les personnes qui défendent cet argument glissent d’un constat
analytique (une crise de l’Euro ou plus précisément de l’UEM/Union Economique
et Monétaire/parfois désignée sous ses initiales en anglais ou EMU)
provoquerait un crise de l’UE) à un argument prescriptif : l’UE étant un
« bonne chose », il faut défendre l’Euro car ce dernier est l’ultime
défense de l’UE. En fait, cet argument doit être déconstruit. Il faut regarder
les liens tant juridiques que fonctionnels qui existent entre l’UE et l’Euro
(l’EMU/UEM), puis discuter des arguments qui concernent directement l’UE.
Zone Euro et
Europe.
L’Union Economie et Monétaire (la « zone
Euro ») n’est pas l’UE. C’est une évidence, mais il convient de le
rappeler. Un certain nombre de pays n’ont pas voulu ou pas pu adhérer à l’EMU.
Certains sont des « membres historiques » de l’Union Européenne.
Ainsi, le Danemark, qui a voté non au traité de Maastricht, a obtenu quatre
dérogations dont l’une sur la monnaie unique. Ce pays a refusé l’Euro par
référendum en septembre 2000. La Suède a, quant à elle, aussi refusé l’adoption
de l’Euro par référendum en septembre 2003. Enfin, le Royaume-Uni possède une
dérogation permanente qui lui permet de ne pas adhérer à la zone euro. Par
ailleurs, parmi les nouveaux membres de l’UE, la Bulgarie, la Croatie, la
République tchèque et la Pologne n’ont pas communiqué de date butoir ou
éventuelle quant à leur adhésion à la zone euro. La Hongrie quant à elle espère
rejoindre la zone euro au plus tôt en 2020 et la Roumanie en 2018. On peut donc
parfaitement être membre de l’UE sans l’être de la zone Euro. Dans ces
conditions, on ne voit pas pourquoi une sortie individuelle de l’Euro ou une
dissolution de la zone Euro, remettraient en cause l’Union Européenne.
Il est cependant vrai que l’UEM a été conçu par
certains comme une institution fédérale devant s’imposer progressivement à tous
les pays de l’UE. En fait, deux conceptions se sont affrontées dès la
constitution de l’UEM. Une conception, défendue par des économistes français
(Pisani-Ferry[1] ou Aglietta[2]), voulait que cette
« Union » s’accompagne rapidement d’une union fiscale et d’une union
sociale. Telle était bien la vision de Jacques Delors. Une autre conception a
cependant prévalu, celle d’un pacte de stabilité avec une surveillance multilatérale
assez faible, reposant sur l’idée que la tache de gérer ses finances publiques
et son économie devait revenir à chacun des gouvernements[3]. En réalité, les
gouvernements se sont opposés à la conception intégratrice de Delors pour
diverses raisons. Le gouvernement allemand parce qu’il comprenait bien que si
l’UEM lui apportait des avantages considérables, en le mettant à l’abri des
dévaluations de ses partenaires et en garantissant un taux de change plus
faible que celui du Deutschemark, il ne voulait nullement entre dans la logique
d’une Union de Transferts. On sait que pour qu’une zone monétaire puisse
fonctionner correctement en dépit de la forte hétérogénéité des pays membres,
il faut que des transferts financiers importants aient lieu. Les autres pays,
comme la France et l’Italie, se sont aussi opposés à cette vision intégratrice
pour des raisons essentiellement politiques.
La crise que nous connaissons depuis 2008 a
provoqué un durcissement de ces positions. L’Allemagne est, plus que jamais
opposée à une Union de Transferts, mais elle a réussi à imposer sa propre
logique de gestion par les divers « pactes » de solidarité qui ont été
signés depuis 2011[4]. C’est ce que l’on appelle
le « six pack ». Ceci a été consolidé dans le TSCG signé en 2012[5], et qui est entré en
vigueur le 1er janvier 2013. Ces traités ne
font que renforcer les mécanismes d’austérité que enserrent les économies
européennes. De ce point de vue, il faut considérer que seule une sortie de
l’UEM, parce qu’elle invaliderait les différents traités, est susceptible de
sortir un pays de l’ensemble des traités signés depuis l’origine. Mais, une
sortie généralisée (ou une dissolution de l’UEM) mettrait fin aux règles décidant
de la politique économique dans les principaux pays de l’UE.
On peut donc considérer que si l’Euro n’est pas
l’UE, ce que l’on appelle actuellement « l’euro-austérité », soit
l’ensemble des politiques mises en place dans les différents pays, est directement
lié à l’Euro. La remise en cause de ce dernier entraînera nécessairement une
remise à plat de ces politiques.
Dissoudre
l’Euro, dissoudre l’Europe ?
Il n’en reste pas moins qu’une interrogation
hante les esprits des anciens européistes : si l’on dissout l’Euro ne
risque-t-on pas de dissoudre l’Union européenne ? On peut comprendre d’où
vient l’idée. Ces ex-européistes, ou « euro-réalistes » comme ils se
nomment parfois, reconnaissent les erreurs qui ont été commises, que ce soit dans
la conception de l’Euro que dans sa mise en œuvre. Mais ils ajoutent que le
remède évident risquerait d’être pire que le mal, en ceci qu’une dissolution de
l’Euro risquerait d’entrainer celle de l’UE. En fait, on peut leur retourner la
question.
De nombreuses voix, qu’il s’agisse d’économistes
ou de sociologues, disent aujourd’hui que c’est l’existence même de l’Euro qui
met en péril l’Union européenne. Il y a eu des textes techniques, comme celui
de Stefan Kawalec and Ernest Pytlarczyk[6], ou encore celui de
Brigitte Granville et H-O Henkel[7], ou encore celui de
Flassbeck et Lapavitsas[8]. Plus récemment c’est
Stefano Fassina, économiste du Parti Démocrate Italien (dont Renzi est issu),
et ancien vice-ministre à l’Économie et aux Finances dans le gouvernement
Letta, qui a franchi Rubicon[9]. De même Wolfgang Streeck,
un sociologue et économiste a publié dans Le Monde une longue tribune pour
indiquer que l’Europe doit abandonner la monnaie unique[10]. Ce dernier montre bien que
quand Mme Merkel dit « Si l’Euro échoue, l’Europe échoue », elle ne
fait pas que défendre la position de l’Allemagne. Elle exprime aussi la crainte
des élites allemandes d’être à nouveau accusées de « casser
l’Europe » comme ce fut le cas en 1914 et en 1939.
On lit souvent des formules intellectuellement
affligeantes telles que « l’Euro c’est paix sur le continent
européen » ou encore « l’Euro, c’est l’Europe ». Ce sont des
injures à l’intelligence qui montrent un mépris de l’histoire et de ses réalités.
La paix sur le continent européen tout d’abord n’est que partielle. On l’a vu
dans les Balkans. Mais, si la paix est par contre bien établie en Europe
occidentale, on le doit à la combinaison de deux faits, la dissuasion nucléaire
et la réconciliation franco-allemande, elle-même fruit du travail que les
Allemands ont réalisé sur leur propre histoire. Rien de tout cela n’est lié, de
près ou de loin, à l’Euro. Par ailleurs, n’oublions pas que sur les 27 pays de
l’Union européenne seule une partie d’entre eux d’entre eux font partie de la
zone Euro. Une fois litière faite de ces contrevérités, on peut tenter une
analyse dépassionnée de la question de la coopération et du conflit.
Coopération ou
coordination ?
L’union monétaire est présentée comme une avancée
dans la voie de la coopération entre États européens, ce qu’elle est
indiscutablement. Mais elle n’est pas viable dans sa forme actuelle. Les pays
de la zone Euro sont très loin de constituer une « zone monétaire
optimale » et ce quelque soit le sens que l’on donne à cette notion. Les
divergences structurelles entre les économies qui la composent, qui étaient
déjà importantes au départ, se sont en fait accrues depuis 2002-2003. Il
faudrait un effort budgétaire considérable de la part des plus riches pour
harmoniser cette zone. Le maintien dans l’Euro est une politique qui porte en
elle les ingrédients pour un renouveau du conflit franco-allemand mais aussi
des divers conflits intra-européens. Au contraire, une sortie de l’Euro, qu’il
s’agisse de la France ou de l’Allemagne ou des relations entre l’Allemagne et
les autres pays (Grèce, Italie), permettrait de dédramatiser ces relations
On tend souvent à la confondre avec la
coopération. Or, il s’agit bien de deux concepts distincts. Le premier indique
une volonté consciente des deux parties à obtenir un résultat commun. Le second
indique que les effets de la politique menée séparément par chaque acteur
peuvent aboutir à ce résultat commun. La coopération, si elle touche à des
questions fondamentales, implique une mise en phase des cycles politiques dans
un grand nombre de pays, une occurrence fort rare. Elle n’est réellement
possible que pour un petit nombre de pays et implique un niveau d’homogénéité
élevé. La coordination repose, quant à elle, sur des présupposés beaucoup plus
réduits. Elle suppose qu’un pays réagisse à l’action d’un autre et que,
d’action en réaction, à travers des mécanismes largement implicites, puisse se
dégager un but commun.
Retrouver la coordination impose de cesser de
rêver à une impossible coopération. La volonté seule de coopérer ne suffit pas.
Encore faut-il que les circonstances et que le rapport de forces s’y prête. Or,
un pays – l’Allemagne – bénéficie trop de la situation actuelle pour vouloir en
changer. Mais la volonté de coopérer fait aussi écran à l’établissement,
possible et immédiat, de politiques de coopération.
Notes
En réalité, l’obsession de défendre l’Euro est en
train de faire éclater l’Union européenne. Ce processus avait été décrit il y a
près de 3 ans dans le livre Faut-il sortir de
l’Euro ?[11] Il faut prendre la mesure de
ce que cela implique. Plus longtemps nous resterons prisonniers de l’Euro et
plus violents seront effectivement les soubresauts qui accompagneront la sortie
de l’Euro. Le risque d’un nouveau conflit européen devient chaque mois qui
passe de plus en plus évident. Si nous voulons préserver la paix en Europe il
nous faut dissoudre l’Euro.
[1] Jean Pisani-Ferry, Le réveil
des démons (La crise de l’euro et comment nous en sortir), Fayard, 2011
[3] Jérôme Vignon, « Trois
visions pour un gouvernement économique de l’Europe », La Croix, 23 février
2010
(http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/113564.pdf ); Traité instituant le
mécanisme européen de stabilité, 11 juillet 2011,http://www.eurozone.europa.eu/media/582863/06-tesm2.fr12.pdf
[5] Voir « Traité sur la
stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et
monétaire », http://www.senat.fr/cra/s20121011/s20121011_mono.html
[6] Kawalec S.,
et Pytlarczyk E., « How to Contain Risks Throughout the Process of the
Eurozone Dismantlementand Rebuild Confidence in the Future of the European
Union », mai 2013, texte pour la 10th EUROFRAME Conference on Economic
Policy Issues in the European Union
[7] Granville,
B., H.‐O. Henkel and
S. Kawalec, ‘Save Europe: Split the Euro’, Bloomberg View, 15 mai 2013. http://www.bloomberg.com/news/2013‐05‐14/save‐europe‐split‐the‐euro.html
[8] Flassbec H,
Lapavitsas C., « THE SYSTEMIC CRISIS OF THE EURO –TRUE CAUSES AND
EFFECTIVE THERAPIES », Rosa Luxemburg Stiftung, mai 2013.
[9] http://www.lastampa.it/2015/02/24/multimedia/italia/fassina-pdla-grecia-esca-dalleuro-q93wq2qG2AlhCuZLRC5FkM/pagi et
[10] Streeck W., « L’Europe
doit abandonner la monnaie unique », Le Monde, mardi 3 mars 2015, p. 16.
http://www.marianne.net/russe-europe
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