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Avez-vous du pot ?

«Pot-de-vin», «pot aux roses», «boire un pot»... Le mot s'est, par vases communicants, progressivement transformé au fil des siècles et des expressions. Claude Duneton (1935-2012) était revenu sur son histoire. Le Figaro vous fait redécouvrir sa chronique.



On ne peut que s'émerveiller de la diversité métaphorique dont jouit depuis toujours le mot pot en français. (Je dénombre aussi une douzaine de locutions imaginées avec pot, en anglais). Du pot-de-vin, qui sent l'argent frais, au pot aux roses, qui fleure le scandale, en passant par les pots cassés qu'il faut payer, c'est une floraison d'images que fournit ce monosyllabe élémentaire. Sans doute la référence à un ustensile nutritionnel de base, le pot marmite, objet de convoitise, jadis, pour beaucoup de gens, est-elle pour quelque chose dans cet engouement.
Ce qui paraît curieux, toutefois, c'est que ce mot bref semble porter en lui la faculté de se régénérer au fil des siècles. Certaines locutions anciennes sont tombées en friche, comme faire le pot à deux anses, «mettre les poings sur les rognons, sur les hanches, comme font les harengères aux halles de Paris», expliquait Philibert Le Roux en 1752 (l'expression existait déjà au XVIe siècle).
Son Dictionnaire comique ne comporte pas moins de seize idiotismes autour du pot!... Il va et vient comme un pois en pot, «pour dire qu'il est inquiet, qu'il fait plusieurs allées et venues», ne se dit plus. Le pot au noir, est également sorti de l'usage, au sens de «bosse que l'on se fait au front en se cognant», par référence probable à un pot à cirage, et à la couleur d'une ecchymose.

«Remuer le pot aux crottes»

Cent ans avant Le Roux, Antoine Oudin, «secrétaire de sa Majesté», signalait pareillement seize expressions figurées avec un pot, dont un tiers sont différentes. Il donne en particulier ce vulgarisme explicite: remuer le pot aux crottes, pour «danser, remuer les fesses» une image qui en dit long sur l'ancienneté d'une association déshonnête entre notre fondement et un réceptacle... À ce sujet, un opuscule de 1799 (l'an VII, plus exactement), dû à la plume papelarde d'un certain Louis Randol, s'amusait déjà de cette profusion d'images: «passons en revue, dit l'auteur, tous les pots imaginables, afin de découvrir celui sous lequel le diable est caché».
Or justement, le titre faussement sibyllin de cette publication, Un pot sans couvercle, ou les Mystères de la rue de la lune dévoile ce sens égrillard «sous lequel le diable est caché». C'est de ce pot-là que nous est venu la métaphore familière de la chance: le «coup de pot» tellement apprécié!... Son inverse, le «manque de pot», s'est décliné, et comme rajeuni en «manque de bol» sous l'Occupation allemande une période, en effet, pleine d'aléas, où la chance, le pot et le bol jouaient au propre et au figuré un beau rôle dans les destinées particulières!

Un mot qui fait la fortune

Il est un autre champ de riche conséquence, c'est le pot de la boisson. Le pot à bière s'est ligué avec le pot vinicole, le pot de Lyon (qui a la valeur approximative d'une chopine). Croirait-on que l'expression prendre un pot, aujourd'hui si banale, si coutumière dans toutes les sphères sociales, et pour toutes sortes de boissons, était déjà un usage dans la haute société française dès la fin du XIXe siècle?...
Dans l'après-guerre de 14-18 la locution était familière aux mondains, du moins parmi les jeunes gens riches et oisifs qui hantaient les endroits à la mode dans le Paris des amusements et des nuits blanches. Un récit-reportage de 1924, Le Monde où l'on s'abuse (sic), de Jean Fayard, décrit ce public huppé à automobiles de luxe les Hispanos! cette jeunesse frivole qui inventa aussitôt après l'arrêt des hostilités les premières «surprises-parties»: «On dépose Peggy et on se rend directement au bar du Winchester, où il sied de boire un pot».
Quand au pot, pris absolument dans ce domaine, au sens de festivité conviviale à l'occasion d'une célébration quelconque, le pot de fin de tournage d'un film, par exemple ce qui prend souvent la forme d'un joyeux petit repas réunissant toute l'équipe ou encore le pot de fin d'année d'une entreprise, ou un pot d'anniversaire, il est également plus ancien qu'on ne le suppose. Le Robert le date de 1909!... C'est bien ce que l'on appelle, sans doute, un mot qui a fait fortune!

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