À travers des photos d'archives, des manuscrits, des clips vidéos et des graffitis originaux, l'Institut du monde arabe retrace l'épopée d'un mouvement artistique contestataire né aux États-Unis avant d'essaimer en France et dans le monde arabe.
Qui aurait cru qu’Akhenaton devienne un jour commissaire ? C’est pourtant bien la fonction que l’Institut du monde arabe (IMA) lui a demandé d’occuper le temps de l’exposition "Hip-Hop, du Bronx aux rues arabes", qui se tient jusqu’au 26 juillet dans les murs de la fondation du Ve arrondissement de Paris. "Commissaire d’exposition" certes mais "commissaire" quand même. Pour un rappeur de renom tel que le chanteur du groupe marseillais IAM, le titre ne fait pas vraiment bon genre. Lui-même aurait préféré le terme de "directeur artistique".
Cette mise au point n’a rien d’anecdotique. Elle souligne le paradoxe certain de l’entreprise menée par l’IMA : circonscrire en un lieu officiel, aussi prestigieux soit-il, un mouvement synonyme de liberté, de contestation, de subversion. "Nous avons fait attention de ne pas institutionnaliser le hip-hop, prévient Aurélie Clemente-Ruiz, l’une des commissaires de l’exposition. Nous nous sommes vraiment attachés à offrir une vision vivante de ce courant."
À l’entrée, pourtant, c’est à la nostalgie que le visiteur semble invité à céder. Sagement rangée derrière une vaste vitrine, une collection de radiocassettes typiques des années 1980 (les fameux "ghetto-blasters") repeintes par d’illustres grapheurs vient rappeler les origines américaines du hip-hop. Bien loin des cultures et civilisations qui constituent le champ d’action de l’IMA. "Nous ne voulions pas cloisonner le mouvement mais lier le monde arabe à une culturelle universelle, explique la commissaire. On raconte un courant. Comment est-il arrivé dans le monde arabe ? Et pourquoi est-il devenu si important là-bas ? C’est la première fois qu’une exposition parle du hip-hop comme d’une culture globale."
"Paix, amour, unité"
Aussi pour comprendre l’ampleur du phénomène faut-il remonter à sa source : le Bronx. Si ce quartier défavorisé du nord de New York doit aujourd’hui d’être considéré comme le berceau du mouvement, c’est grâce à l’élan créatif de son importante communauté afro-américaine qui, au tournant des années 1970 et 1980, s’appropria les modes d’expression les plus accessibles : la musique, la danse, le graffiti. "Lors de ce qu’on appelait les ‘block party’, les gens installaient des platines dans la rue et y faisaient la fête. Parmi ces pionniers du son hip-hop figurent des noms aujourd’hui érigés en totem : Afrika Bambaataa, apôtre de la Zulu Nation, ou encore Grandmaster Flash, le père du "scratch". "Leurs mots d’ordre étaient alors ‘paix, amour et unité’, rappelle Aurélie Clemente-Ruiz. Les 10 premières années furent plutôt festives. Ce n’est que plus tard que le mouvement est devenu engagé, notamment avec le rap."
Dans les années 1990, c’est au tour de la France, et plus particulièrement Marseille et la région parisienne, de contracter le virus. Selon le même processus, les débuts sont récréatifs (l’occasion de voir les photos de premières soirées hip-hop du club parisien Le Globo) avant de se politiser. "Il y a alors dans les périphéries urbaines un contexte social qui favorise un discours plus revendicatif", commente la commissaire.
Portés par l’émergence des radios libres, les groupes de rap essaiment au-delà des banlieues, envahissent les bacs des disquaires et commencent à squatter les émissions de télévision. Ils s’appellent Assassin, La Cliqua, NTM, La Rumeur... Dans le paysage musical hexagonal, la rudesse de leurs propos détonne et fait les choux gras des titres de la presse nationale, tel "Le Monde" qui, à l’époque, se demande si le rap n’est pas "trop violent"...
Vecteur des printemps arabes
De l’autre côté de la Méditerranée, il faudra cependant plus de temps pour que le hip-hop sorte de la clandestinité. "Au Maghreb, on voit, dès les années 1990, l’apparition de rappeurs, de grapheurs et de danseurs soumis aux pratiques amateurs qui font l’essence du hip-hop, commente Aurélie Clemente-Ruiz. Mais le mouvement restera longtemps du domaine de l’underground. C’est à l’aube des printemps arabes que la donne change. À partir des années 2010, des rappeurs ont commencé à montrer leur visage."
L’avènement d’Internet n’est pas étranger à cette sortie du bois. Les artistes arabes, alors davantage connectés, se mettent à interagir. Un rappeur du Caire a pu alors travailler avec un musicien de Beyrouth ou de la diaspora arabe. La musique circule de plus en plus. "C’est l’une des caractéristiques du hip-hop que d’abolir les frontières, constate l’organisatrice de l’exposition. Peu importe d’où cela vient, du moment que c’est bon, ça voyage…" Au risque de froisser les pouvoirs arabes en place qui voient d’un mauvais œil la propagation de messages contestataires.
Quelques semaines avant la chute de Ben Ali en janvier 2011, le Tunisien Hamada Ben Amor, alias El Général, fit ainsi quelques jours de prison pour une chanson dénonçant le régime d’alors. Aujourd’hui, le chanteur est considéré comme un acteur de la "révolution du jasmin". Ailleurs dans le monde arabe, l’Irakien The Narcicyst, le Syro-Américain Omar Offendum ou la Palestinienne Shadia Mansour s’emploient également à donner au rap arabe ses lettres de noblesse. À savoir un savant mélange de textes engagés, chantés dans les dialectes locaux, et de musique urbaine aux sonorités orientales. "Ils allient les codes du hip-hop à la tradition musicale qui règne dans la culture arabe. La cantatrice égyptienne Oum Kalthoum [décéde en 1975] est sûrement la chanteuse la plus reprise dans le rap arabe", indique Aurélie Clemente-Ruiz
Idem pour le graffiti, que l’héritage de l’art calligraphique a permis d’imposer quasi naturellement dans les rues arabes. Pour l’exposition, plusieurs murs de l’IMA accueillent des œuvres spécialement commandées à des grapheurs réputés pour leurs fresques mêlant slogans politiques et travail sur l’écriture manuscrite (le Libanais Yazan Halwani, le Tunisien Meen-one, etc.). "Même si, en quelque sorte, nous faisons entrer leur travail au musée, ces artistes n’ont pas rechigné à répondre présent, se félicite la commissaire. Ils ont cette fierté d’appartenir à une communauté. C’est, pour eux, une forme de reconnaissance et une manière dire : ‘nous ne sommes pas que des délinquants’."
En savoir plus : http://www.france24.com/fr/20150429-exposition-institut-monde-hip-hop-graffiti-arabe-rap-france-usa-paris
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