COLOMBIEUn train chinois au milieu de la forêt vierge
La Chine se propose d’investir dans un ambitieux projet de chemin de fer reliant la côte pacifique à la côte atlantique. Une idée en vogue depuis cinquante ans, mais qui suscite de nombreuses réserves.
L’idée de construire un “canal interocéanique à sec” – une liaison ferroviaire – entre les côtes pacifique et atlantique de la Colombie est sur la table depuis des décennies. Aujourd’hui, il se pourrait que le projet soit financé par les Chinois. L’occasion est belle, mais de nombreuses inconnues demeurent. La presse panaméenne a abondamment couvert cette information, car ce “canal sec” pourrait concurrencer le canal de Panamá. Plus largement, la nouvelle a fait sensation en Amérique centrale car ce projet, pour lequel divers investisseurs chinois et russes se sont déclarés intéressés, bénéficierait au Guatemala, au Costa Rica, au Honduras et au Nicaragua. Le sud du continent en attend également beaucoup, et des pays comme le Brésil et le Venezuela trouveraient eux aussi un grand intérêt à ce qu’une route terrestre relie les deux océans, facilitant ainsi le commerce maritime entre Atlantique et Pacifique.
En Colombie, la nouvelle redonne vie au vieux rêve qu’ont nourri divers gouvernements. Comme le rappelle le gouverneur du département d’Antioquia, Luis Alfredo Ramos, l’idée d’un canal sec est envisagée depuis plus d’un demi-siècle dans la région, et vingt-cinq tracés différents ont été étudiés. “Dans le département d’Antioquia, nous avons reçu la visite de nombreux Coréens et Chinois prêts à investir dans le projet. En 2008, les Chinois ont déjà signé un protocole d’accord sur le développement de projets stratégiques, dont, entre autres, une connexion interocéanique”, explique-t-il. En 2010, le président de la Banque de développement chinoise et un groupe de cadres de la Compagnie nationale des chemins de fer de la République populaire ont rencontré le président de la Colombie, Juan Manuel Santos, et lui ont manifesté leur intérêt pour la construction d’une ligne ferroviaire de 250 km entre les deux océans.
Mi-février, le chef de l’Etat a fourni de plus amples détails, précisant que le projet chinois comprenait la création d’une ville nouvelle au sud de Cartagena [sur la côte atlantique] qui serait dotée d’un centre de production et d’assemblage pour les exportations vers les autres pays d’Amérique latine et centrale et vers les Etats-Unis. La proposition plaît beaucoup aux autorités colombiennes car, outre qu’elle contribuerait à désengorger les routes, elle représente quelque 2,7 milliards de dollars [2 milliards d’euros] d’investissements et permettrait au pays d’exploiter sa situation géographique stratégique pour améliorer son commerce extérieur.
Cependant, au-delà des bénéfices évidents, le projet laisse sceptiques les experts, qui ont entendu parler d’idées semblables à maintes reprises par le passé, et provoque un débat sur ses répercussions économiques, sociales et écologiques. Pour les sceptiques, il s’agit d’une option très coûteuse. Selon certains calculs, le transport d’un conteneur par le canal de Panamá revient à 100 dollars, alors qu’il en coûterait 500 dollars par le “canal sec”. Et pour transporter par le rail la cargaison d’un seul navire de 12 000 conteneurs, il faudrait près de 30 trains. D’autres questions subsistent : la Colombie aurait besoin de meilleures infrastructures portuaires sur la côte pacifique ; et il faudrait aussi que le volume de fret en provenance d’Asie transitant par les ports colombiens soit suffisant pour assurer la rentabilité du projet. Le Panamá est depuis des années la centrale logistique pour l’Amérique latine du commerce arrivant d’Asie. L’élargissement du canal de Panamá, à partir de 2014, permettra le passage de gros navires, et sa capacité passera de 300 millions de tonnes de cargaisons commerciales par an à 600 millions de tonnes, tandis que celle du canal colombien ne serait que de 40 millions de tonnes par an. Sans compter que le Panamá voisin réaménage actuellement ses trois ports (Colón, Balboa et Manzanillo) et améliore la qualité logistique de son réseau ferroviaire dans l’isthme. De plus, certains affirment que, si le projet de canal à sec est resté lettre morte en Amérique centrale, où la distance de l’ouvrage serait bien plus courte, il n’y a guère d’espoir qu’il soit mené à bien en Colombie.
Le problème n’est pas seulement financier. Plusieurs observateurs estiment que le véritable obstacle est écologique. Les répercussions qu’auraient ces constructions dans le corridor envisagé, en particulier si les forêts vierges du département du Chocó et de la région de l’Urabá sont touchées, constituent une sérieuse objection. Pourtant, Manuel Felipe García, directeur des investissements économiques à l’Old Mutual-Guodian Insurance à Pékin, estime que le projet chinois n’est pas si fantasque. “Le géant asiatique est prêt à conquérir le monde, et ses caisses lui permettent d’investir où il veut et dans ce qu’il veut”, souligne-t-il.
De fait, le canal sec est un projet extrêmement pertinent pour les Chinois, qui ont besoin des ressources naturelles situées côté Atlantique, qu’il leur faut donc transporter côté Pacifique. Le pétrole vénézuélien et le charbon colombien, notamment, sont indispensables à la Chine si elle entend poursuivre sa croissance. Comme le note Manuel Felipe García, si les Chinois prennent au sérieux le projet présenté au président colombien, il est fort possible qu’une route interocéanique soit en service avant 2015. La Chine a réalisé ces dernières années des projets ferroviaires impressionnants, et nul doute qu’elle va continuer sur cette voie. Ainsi, la nouvelle ligne à grande vitesse qui relie Shanghai à Hangzhou, distantes de 220 kilomètres, a été livrée en vingt mois seulement. En Colombie, les Chinois ont également proposé un plan d’investissement de 7,6 milliards de pesos [3 millions d’euros] qui, outre le rail, prévoit l’agrandissement du port de Buenaventura, le principal port colombien sur le Pacifique.
Si les Chinois peuvent se doter d’une voie de transport exclusif qui les rapproche plus facilement de l’Atlantique et leur ouvre des marchés dont l’accès reste pour l’heure compliqué et coûteux, le canal sec va devenir, à n’en pas douter, un sujet de préoccupation pour les Etats-Unis et l’Europe, qui exerçaient jusque-là leur domination commerciale sur l’océan Atlantique.
En Colombie, la nouvelle redonne vie au vieux rêve qu’ont nourri divers gouvernements. Comme le rappelle le gouverneur du département d’Antioquia, Luis Alfredo Ramos, l’idée d’un canal sec est envisagée depuis plus d’un demi-siècle dans la région, et vingt-cinq tracés différents ont été étudiés. “Dans le département d’Antioquia, nous avons reçu la visite de nombreux Coréens et Chinois prêts à investir dans le projet. En 2008, les Chinois ont déjà signé un protocole d’accord sur le développement de projets stratégiques, dont, entre autres, une connexion interocéanique”, explique-t-il. En 2010, le président de la Banque de développement chinoise et un groupe de cadres de la Compagnie nationale des chemins de fer de la République populaire ont rencontré le président de la Colombie, Juan Manuel Santos, et lui ont manifesté leur intérêt pour la construction d’une ligne ferroviaire de 250 km entre les deux océans.
Mi-février, le chef de l’Etat a fourni de plus amples détails, précisant que le projet chinois comprenait la création d’une ville nouvelle au sud de Cartagena [sur la côte atlantique] qui serait dotée d’un centre de production et d’assemblage pour les exportations vers les autres pays d’Amérique latine et centrale et vers les Etats-Unis. La proposition plaît beaucoup aux autorités colombiennes car, outre qu’elle contribuerait à désengorger les routes, elle représente quelque 2,7 milliards de dollars [2 milliards d’euros] d’investissements et permettrait au pays d’exploiter sa situation géographique stratégique pour améliorer son commerce extérieur.
Cependant, au-delà des bénéfices évidents, le projet laisse sceptiques les experts, qui ont entendu parler d’idées semblables à maintes reprises par le passé, et provoque un débat sur ses répercussions économiques, sociales et écologiques. Pour les sceptiques, il s’agit d’une option très coûteuse. Selon certains calculs, le transport d’un conteneur par le canal de Panamá revient à 100 dollars, alors qu’il en coûterait 500 dollars par le “canal sec”. Et pour transporter par le rail la cargaison d’un seul navire de 12 000 conteneurs, il faudrait près de 30 trains. D’autres questions subsistent : la Colombie aurait besoin de meilleures infrastructures portuaires sur la côte pacifique ; et il faudrait aussi que le volume de fret en provenance d’Asie transitant par les ports colombiens soit suffisant pour assurer la rentabilité du projet. Le Panamá est depuis des années la centrale logistique pour l’Amérique latine du commerce arrivant d’Asie. L’élargissement du canal de Panamá, à partir de 2014, permettra le passage de gros navires, et sa capacité passera de 300 millions de tonnes de cargaisons commerciales par an à 600 millions de tonnes, tandis que celle du canal colombien ne serait que de 40 millions de tonnes par an. Sans compter que le Panamá voisin réaménage actuellement ses trois ports (Colón, Balboa et Manzanillo) et améliore la qualité logistique de son réseau ferroviaire dans l’isthme. De plus, certains affirment que, si le projet de canal à sec est resté lettre morte en Amérique centrale, où la distance de l’ouvrage serait bien plus courte, il n’y a guère d’espoir qu’il soit mené à bien en Colombie.
Le problème n’est pas seulement financier. Plusieurs observateurs estiment que le véritable obstacle est écologique. Les répercussions qu’auraient ces constructions dans le corridor envisagé, en particulier si les forêts vierges du département du Chocó et de la région de l’Urabá sont touchées, constituent une sérieuse objection. Pourtant, Manuel Felipe García, directeur des investissements économiques à l’Old Mutual-Guodian Insurance à Pékin, estime que le projet chinois n’est pas si fantasque. “Le géant asiatique est prêt à conquérir le monde, et ses caisses lui permettent d’investir où il veut et dans ce qu’il veut”, souligne-t-il.
De fait, le canal sec est un projet extrêmement pertinent pour les Chinois, qui ont besoin des ressources naturelles situées côté Atlantique, qu’il leur faut donc transporter côté Pacifique. Le pétrole vénézuélien et le charbon colombien, notamment, sont indispensables à la Chine si elle entend poursuivre sa croissance. Comme le note Manuel Felipe García, si les Chinois prennent au sérieux le projet présenté au président colombien, il est fort possible qu’une route interocéanique soit en service avant 2015. La Chine a réalisé ces dernières années des projets ferroviaires impressionnants, et nul doute qu’elle va continuer sur cette voie. Ainsi, la nouvelle ligne à grande vitesse qui relie Shanghai à Hangzhou, distantes de 220 kilomètres, a été livrée en vingt mois seulement. En Colombie, les Chinois ont également proposé un plan d’investissement de 7,6 milliards de pesos [3 millions d’euros] qui, outre le rail, prévoit l’agrandissement du port de Buenaventura, le principal port colombien sur le Pacifique.
Si les Chinois peuvent se doter d’une voie de transport exclusif qui les rapproche plus facilement de l’Atlantique et leur ouvre des marchés dont l’accès reste pour l’heure compliqué et coûteux, le canal sec va devenir, à n’en pas douter, un sujet de préoccupation pour les Etats-Unis et l’Europe, qui exerçaient jusque-là leur domination commerciale sur l’océan Atlantique.
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En savoir plus : http://www.courrierinternational.com/article/2011/03/03/un-train-chinois-au-milieu-de-la-foret-vierge
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