Des artistes français s'illustrent partout dans le monde. Feraient-ils mentir le constat d'affaiblissement national ?
Savez-vous quel est le plus gros succès cinématographique de l'année 2012 en Allemagne? Une comédie française, Intouchables , qui totalise à ce jour plus de 40 millions d'entrées dans le monde. Les architectes retenus par le gouvernement de Moscou pour imaginer le développement de la capitale russe? Français eux aussi: Grumbach et Wilmotte. Le nouveau conservateur du département photo du MoMa de New York? Encore un Français, Quentin Bajac, débauché du Centre Pompidou.
Des exemples de ce type, le dossier spécial que Le Figaro publie samedi en regorge, dans des domaines aussi variés que la musique électronique, la muséographie, l'édition, mais aussi la haute joaillerie, la mode ou la gastronomie. À partir du lundi 12 novembre et pendant une semaine, des personnalités contribuant au rayonnement français nous feront part de leur expérience et de leur analyse dans les pages Débats & Opinions. Non, la création française n'est pas morte, comme l'a prétendu le magazine américain Time en 2007. «Affirmer le contraire relève d'un déprimisme primaire», s'insurge Xavier Darcos, le président de l'Institut français (ex Culturesfrance). Son prédécesseur à la tête de cet organisme chargé de promouvoir notre production à l'étranger, Olivier Poivre d'Arvor, avait mené la contre-attaque en faisant établir une liste de plusieurs centaines d'artistes français au rayonnement international.
Vivante, notre culture l'est assurément. En tout cas sur le territoire national. Le Forum d'Avignon, qui ouvrira ses portes jeudi prochain, n'a-t-il pas choisi cette année pour thème: «Culture: les raisons d'espérer»? Mais nos succès récents, aussi spectaculaires soient-ils, font-ils vraiment mentir le constat général d'un déclin français? Poser la question dans un pays, dont l'universalisme frise parfois l'arrogance, c'est marcher sur des œufs.
Maryvonne de Saint-Pulgent, auteur du Gouvernement de la culture(Gallimard), explique que notre fierté nationale s'est réfugiée dans la défense de notre culture: «Toute atteinte au renom artistique français est ressentie par l'opinion comme une menace contre la nation elle-même.» Selon que l'on interroge les dirigeants d'établissements publics ou des producteurs indépendants, on n'obtient bien sûr pas le même son de cloche. Il est parfois triomphaliste chez les premiers. Ainsi, Éric Garandeau, le patron du Centre national du cinéma annonce «une véritable renaissance économique et artistique du cinéma français».
Année record pour le cinéma
En effet, les récompenses n'ont cessé de pleuvoir sur nos cinéastes ces dernières années, et 2012 sera probablement «une année record» pour nos films à l'étranger, selon Régine Hatchondo, la responsable d'Unifrance: en septembre, le nombre d'entrées comptabilisées était en progression de 24,3 % par rapport à la même période en 2011. N'allez pas non plus parler déclin à Henri Loyrette, président du Louvre. Son musée n'est pas seulement le premier au monde, on s'arrache désormais son expertise dans les domaines les plus divers (administration, restauration, politique des publics…).
L'optimisme des représentants de l'«État culturel» n'est pas partagé par tout le monde. D'autres voix sont plus nuancées. C'est le cas d'Antoine Compagnon, professeur de littérature moderne et contemporaine au Collège de France et à l'université Colombia de New York, qui considère que la campagne de Time nous a remis «fermement à notre place de puissance culturelle moyenne à l'échelle mondiale, en accord avec notre statut de puissance économique intermédiaire». Auteur d'une remarquable enquête sur le Mainstream(Flammarion), Frédéric Martel résume bien la situation: «Si la high-culture française demeure puissante, notre pays ne figure plus dans le peloton de tête de la culture de masse. Un certain nombre de pays émergents nous sont passés devant.» Le «modèle français» aurait-il, là aussi, des difficultés à tirer les bénéfices de la mondialisation? «Nous autres Français avons encore trop tendance à considérer que notre culture est à prendre ou à laisser, explique Jean-François Colosimo, le président du Centre national du livre. Nous sommes trop dans une démarche unilatérale de l'offre que nous absolutisons volontiers.»
Si la culture est un commerce intellectuel, c'est aussi un commerce réel avec des parts de marché à conquérir. Notre système jacobin est-il le mieux à même de relever ce défi? N'est-il pas de nature à freiner l'émulation et à brider l'initiative, indispensables sur le marché des talents? La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, qui ne manque jamais une occasion de vanter la culture comme un moteur de croissance, ne paraît pas en douter. Tout en devant admettre que «l'État-providence culturel», suivant l'expression de Dominique Schnapper, n'a plus les moyens de son messianisme.
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